Regards croisés : la rémunération équitable vue par deux spécialistes

Comment construire une rémunération équitable ? Elise Penalva-Icher, sociologue spécialiste des rémunérations et Boris Smolic, Comp & Ben chez Malakoff Humanis en discutent.

Au cœur du contrat social, la rémunération occupe une place clé.

Pour mieux comprendre les enjeux qu'elle recouvre nous avons convié Elise Penalva-Icher, sociologue, professeur des universités à Paris Dauphine PSL, spécialiste de la question des rémunérations à échanger avec Boris Smolic, Comp & Ben au sein de notre groupe Malakoff Humanis.

Salaire, rémunération : de quoi parle-t-on exactement ?

Elise Penalva-Icher : Dans le contrat de travail, la rémunération est ce qui est versée en contrepartie du travail. Mais dans les faits, il est difficile d’en saisir les contours, car la rémunération ça peut être du salaire direct, du salaire différé, variable sur objectifs, ou encore tout ce qui est périphérique à la rémunération comme les régimes de santé, de prévoyance, les titres restaurants, les frais de transports ou encore les dispositifs d’épargne et de partage de la valeur (intéressement sur le capital, participation, prime de partage de la valeur).

En termes de mouvements sociaux-historiques, depuis les années 90, il y a un recours de plus en plus important à des dispositifs de primes, de participation, d’intéressement, soit à des dispositifs de plus en plus individualisés. Pendant les 30 Glorieuses, les rémunérations étaient fixées par des grilles liées aux compétences et aux classifications dans des collectifs de travail. Il y a désormais plusieurs niveaux de négociation de la branche jusqu’à l’individu et on parle de package de rémunération qui mobilise toutes les dimensions déjà citées. Si on considère qu’à cela s’ajoute tout ce qui concerne les conditions de travail, on voit qu’il y a autour du salaire un véritable halo qui rend difficilement perceptible pour les salariés ce qu’est leur rémunération.

Boris Smolic : Je rejoins Elise, le salaire ou la rémunération ne se résume pas à la seule rémunération fixe. C’est une notion beaucoup plus large. On parle alors de rémunération globale qui comprend 3 grandes dimensions : le salaire fixe, les dispositifs de partage de la valeur (intéressement, participation, PPV) et les avantages sociaux.

Les avantages sociaux sont généralement issus de la négociation collective. Plus cette liste est large et englobante et plus le contrat social est protecteur et socialement responsable. Cette dimension est très importante dans un groupe mutualiste et paritaire. Malakoff Humanis étant un acteur de référence en santé, prévoyance, épargne et retraite, nous avons la chance de bénéficier de l’expertise de nos collègues sur ces sujets, ce qui nous permet d’être toujours plus innovants dans cette approche.

Quels sont les éléments qui permettent de définir une rémunération comme équitable ?

Elise Penalva-Icher : C’est intéressant de souligner l’impact du caractère spécifique paritaire et mutualiste de l’entreprise sur ces packages. La rémunération : c’est un chiffre, un montant, mais ce sont aussi des échelles. On perçoit son salaire pour soit, et par rapport aux autres, à ce qu’ils perçoivent. Ces échelles construisent des écarts qui peuvent se transformer en inégalités s’ils ne sont pas justifiables. Quand ces écarts sont légitimés, explicités et construits par des principes auxquels tout le monde adhère, ils ne sont pas perçus comme inégalitaires ; on comprend pourquoi ces rémunérations sont mises en place. C'est le cas dans les entreprises paritaires : on construit de manière commune des principes de justice, on adhère à un même système de valeur, cela crée du sens et les échelles de grandeurs sont validées collectivement.

Ces écarts existent, mais pour être acceptés, ils doivent être deux choses. D’une part, ils doivent être transparents, c’est-à-dire que les gens doivent les voir, les comprendre et pouvoir se situer sur ces échelles de grandeurs. Cela objective une situation, mais cela ne suffit pas. Il faut un système de valeurs auquel les gens adhèrent.

Rappelons que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 énonce dans son article 23, alinéa 2 : « Tous les salariés ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal ».

Quels sont les outils permettant de garantir une rémunération équitable ? Permettent-ils des transformations ?

Boris Smolic : Il y a 4 outils principaux que nous utilisons chez Malakoff Humanis pour garantir l’équité salariale :

  1. La « classification des emplois », qui à partir de critères objectifs (niveau de diplôme, contribution, autonomie,..) va regrouper entre eux les emplois de même valeur et y associer des grilles ou fourchettes de rémunération cohérentes.
  2. Les « benchmarks interne et externe » qui apprécient l’équité interne et s’assurent de l’adéquation de nos pratiques avec le marché.
  3. Les « matrices d’augmentation individuelle », qui sur la base de l’évaluation du manager et du positionnement salarial pour un même emploi, vont proposer aux managers des taux d’augmentation cohérents pour ne pas creuser les écarts.
  4. Les « campagnes annuelles d’égalité professionnelle » qui à partir d’une méthodologie partagée et négociée avec les Organisations Syndicales, vont s’attacher à corriger les écarts de rémunération dits injustifiés.

Ces outils sont modélisants, puisque leur action combinée, nous a permis, sur l’index Penicaud, de passer de 90/100 en 2021 à 97/100 en 2023. Nous sommes dans une dynamique d’amélioration continue pour renforcer et promouvoir l’égalité F/H.

En matière de rémunération ; d'une part les salariés sont en demande de plus de transparence et d'autre part, ils expriment un besoin de personnalisation. Comment concilier les deux ?

Elise Penalva-Icher : Sur la transparence, il y a de vraies attentes. On pense souvent, à tort, qu’il y a un tabou français autour des rémunérations. Alors qu’il y a un besoin d’en parler pour savoir où se situer sur les échelles. Lors de l’enquête que j’ai menée, les gens arrivaient avec leurs fiches de paie et cette question : « dites-moi combien je gagne et si c’est bien ou pas ». Cette demande de transparence est une réaction à l’individualisation des dispositifs de rémunération, à leur complexification.

Aujourd’hui, la question c’est comment aider les salariés à percevoir, c’est-à-dire à comprendre leur rémunération. Il faut réfléchir collectivement, au niveau de l’entreprise avec le contrat social voire au niveau de la société avec des lois, à comment mettre en place cette transparence. Et c’est aussi dans l’intérêt de l’entreprise de s’interroger sur les échelles de grandeurs et leurs justifications afin de rester attractive.

Sur l’individualisation maintenant, dans l’enquête que j’ai menée, j’ai noté qu’il n’y avait pas de rejet du principe : les gens sont d’accord pour être payés au mérite. Seulement comme le mérite se mesure de manière subjective, dès lors que la rémunération relative à la performance est mise en place, il y a un hiatus. Le mérite ne tient pas seul, il lui faut d’autres éléments. Il faut donc se demander ce qu’il y a derrière le besoin d’individualisation plébiscité par les salariés.

Boris Smolic : Au-delà de la transparence et de l’individualisation rappelées par Elise, il est essentiel de comprendre que chaque salarié(e) a des attentes et des besoins différents. Une stratégie de rémunération optimale doit offrir une certaine flexibilité, pour privilégier une approche personnalisée, chaque fois que cela est possible.

À l’image de l’intéressement et de la participation qui peuvent être perçus immédiatement pour renforcer le pouvoir d’achat immédiat ou épargnés pour faire face à un imprévu, les DRH et les organisations syndicales doivent offrir plus de souplesse dans la constitution des packages de rémunération.

Pour répondre à ces besoins, il faut sortir du mode de distribution unique de la rémunération et de ses avantages, pour tendre vers plus de personnalisation, sorte de « plan cafétéria » et de « consommation à la carte », dès que cela est possible.

Rémunération transparente, individualisée, personnalisée, équitable : en quoi ces réflexions peuvent-elles contribuer à un meilleur engagement des salariés ?

Elise Penalva-Icher : L’entrée en vigueur en 2026 de la Directive Européenne va bouleverser les pratiques des entreprises en introduisant plus de transparence. Cette Directive, qui renforce le principe d’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes, introduit une obligation de transparence, à la fois dans les offres d’emplois qui devront mentionner des fourchettes de salaire à l’embauche mais également sur les écarts de rémunération existants en cours de carrière qui ne pourront excéder 5 % pour un travail de même valeur.

Boris Smolic : Dans un environnement concurrentiel, la stratégie de rémunération est fondamentale pour attirer et fidéliser les salarié(e)s. Le salaire équitable implique le meilleur des équilibres possibles en fonction des compétences, de l'expérience, des responsabilités et de la performance de chaque salarié(e).

En ce sens, le salaire équitable est un pilier pour l'engagement des salariés et la marque Employeur. Il s'inscrit dans une démarche d'engagement sociétal et de responsabilité sociale des entreprises (RSE) en contribuant à une société plus juste et plus inclusive.

Sur le même thème